Otto JESPERSEN

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"Nature évolution & origines du langage"
(1921) traduit en français 1976 Paillot

 

Linguiste complet, il s'est intéressé au langage sous toutes ses formes. Intéressé par la philosophie de la grammaire, spécialiste de l'interlinguistique il s'occupe des langues internationales (esperanto, ido), mal satisfait il crée le novial.

Il a touché à certains aspects philosophiques et s'intéresse à l'application de ses travaux : il crée une méthode d'enseignement de l'anglais fondé sur la prononciation, il utilise dans cette méthode l'alphabet phonétique international dont il est un des promoteurs.

(Il écrit une lettre à Paul Passy pour proposer la création de l'Association. Phonétique. Internationale.)

C'est un de ceux qui vont faire un premier travail très intéressant sur l'acquisition du langage par l'enfant.

Il s'intéresse aux apports de l'enfant aux changements qui interviennent dans les langues.

C'est un spécialiste de la linguistique historique et, dans ce cadre, des branches romanes & germaniques de l'indo-européen.

La totalité de l'ouvrage est conçue pour mener aux 20 pages qui traitent de l'origine du langage.

- 1er livre : Histoire de la linguistique des débuts jusqu'au 19è siècle.

- 2ème livre : Le langage de l'enfant, basé sur des faits recueillis par lui-même. Il étudie surtout les changements provenant de la transmission de la langue à de nouveaux individus qui ne la comprennent pas encore.

- 3ème livre : L'individu et le monde : étude complémentaire, changements dans les langues dus à une influence exercée sur une langue à travers sa transmission à des individus qui parlent déjà une autre langue. Problèmes dérivés des phénomènes de colonisation. ex en Gaule abandon du celtique pour le latin : mélange. (appelés problèmes de substrat en linguistique historique).

- 4ème livre : L'évolution du langage, consacré aux origines du langage : Le courant de la grammaire comparée s'achève par les néo-grammairiens, Jespersen s'oppose violemment à l'aspect mécaniste de l'évolution des langues.

Livre 3 : L'individu et le monde :

Pour les néo-grammairiens existe la notion de lois phonétiques sans exceptions, pour Jespersen, ils ont ignoré les problèmes de sens : "Pour comprendre les phénomènes phonétiques, il convient de ne pas les isoler de l'étude des sens."

"La tâche de la linguistique n'est pas de se limiter à la reconstitution de l'indo-européen mais il faut s'intéresser à la nature même du langage". Il va se diriger vers une tentative d'évaluation des langues fondée sur une idée générale opposée à beaucoup de recherches du 18è et particulièrement à Rousseau : pour Jespersen les langues ne dégénèrent pas mais au contraire, les langues s'améliorent, progressent. Pour lui, il y a survalorisation des langues anciennes, il est pour une revalorisation d'un point de vue synchronique

Point de vue non pas philosophique mais scientifique, appuyé sur des faits : "Pour apporter une réponse scientifique à la question du progrès ou déclin des langues, il faut examiner des cas concrets de changement, en prenant grand soin, toutefois, que ces exemples ne soient pas sélectionnés au hasard mais au contraire, qu'ils soient caractéristiques des langues étudiés."

En fonction de la progression des langues, il se pose une question d'interlinguiste : quelle est la meilleure langue? "il est possible de trouver des tests permettant de mesurer et comparer les langues. Dans cette optique, il est évident que c'est celle qui pourra exprimer le maximum de choses avec le mécanisme le plus simple."

Critique possible, comportement anthropocentrique : revendiqué, il l'appelle évaluation anthropocentrique. Maximum d'efficacité pour un minimum d'effort, donc la langue la plus adéquate est celle qui comporte la plus grande force d'expression, et d'un autre côté, demande un effort de travail physique et mental réduit. C'est sa "formule d'énergétique".

Les recherches de Jespersen viennent d'être réactualisées par Bjorg LINDBLOM (théorie de l'hypo et hyper articulation) nouvelles recherche sur les énergies dépensées dans la production des langues.

Jespersen étudie sur la plus longue période possible pour lui. De là, il met en évidence une tendance au progrès dans les langues

Examens comparatifs des différences entre les états anciens et modernes des langues occidentales.

1) Changements phonétiques (il admettra par la suite qu'il part des langues indo-européennes).

Evolution des systèmes phonétiques. Il rappelle les recherches de Baudoin de Courtenay sur les systèmes linguistiques (1893). Baudoin de Courtenay est un de ceux qui ont mené à la notion de phonème (école de Kazan). Les langues iraient vers une perte des sons gutturaux, évolution dans le sens d'un plus grand rôle joué par l'articulation antérieure des langues. Conception de l'humanisation du langage.

Pour Jespersen la tendance la plus universelle, c'est la tendance au raccourcissement des mots. ex latin / français campus -> champ bonus -> bon

Parfois suppression de syllabes "haplologie" Neuve ville -> Neuville

2) Changements de l'organisation syntaxique. Relation Synthèse / analyse.

Synthèse / langues synthétiques analyse / langues analytiques.

Dans les langues synthétiques on a le groupement dans un même mot de plusieurs fonctions syntaxiques cantaverum -> I has sung

Gain : on passe d'une structure figée à 3 éléments (plus de liberté).

De même Jespersen considère que l'accord verbal complexifie une langue et que simplifier les flexions (en utilisant les pronoms personnels) va vers une utilisation plus libre et plus spontanée.

Dans les formes anciennes des langues, on trouve beaucoup d'irrégularités dans les désinences et les racines.

3) Synthèse des avantages (p351)

  1. : Formes plus courtes = effort réduit
  2. Gain sur le plan de la charge mémorielle
  3. Formations plus régulières
  4. Syntaxe plus régulière : plus de combinaisons possibles, facilité d'expression.
  5. Caractère plus abstrait, plus analytique
  6. Les répétitions très lourdes désignées par le terme d'accord deviennent inutiles et disparaissent.
  7. L'ordre des mots doit être le plus régulier possible -> compréhension aisée sans ambiguïté.
  8. Conclusion : Pour Jespersen "L'évolution s'est faite de quelque chose d'assez proche du chaos vers quelque chose de plus proche du cosmos." {Mais cela est valable seulement pour langues indo-européennes}

C'est à contre courant de la théorie de l'évolution de Darwin : "Pour la linguistique on a le phénomène inverse, au lieu d'une complexification, on va vers une simplification des formes. En matière de structure, la simplicité de l'expression n'est pas innée mais provient d'une élaboration." "Excusez moi, je n'ai pas eu le temps de faire court."

Idée générale :

Au plus on s'éloigne de l'époque présente, au plus le langage est complexe. On a une évolution a contrario de la théorie darwinienne du plus complexe au plus simple. "Nos ancêtres faisaient beaucoup de bruit pour presque rien"
Déclenchement du langage : Jespersen reprend l'analyse de Rousseau : c'est le désir qui est à l'origine du langage et non pas le besoin. L'homme a chanté ses sentiments bien avant d'être capable d'exprimer ses pensées. Toute une partie de sa pensée reprend Herder et Rousseau. Dans son ouvrage, il se montre très dur avec Rousseau qui est expédié en quelques mots alors qu'il reprend son argumentation. Mais il y a cassure : ils ont des conceptions extrêmement différentes des origines des langues : Pour Rousseau, il y a dégénérescence due à une raison sociale, l'homme vivant en société est obligé de modifier la langue qui devient un instrument au service de la raison alors que au début elle est au service de l'expression des sentiments. Pour Jespersen, au contraire, c'est un progrès. Pour bien marquer ce progrès, il définit une trajectoire d'évolution du complexe au plus simple.

L'ouvrage se termine sur une citation du Prométhée délivré de Scheller (1819):
"Le langage est un hymne orphique perpétuel régissant de son harmonie savante une foule de pensées et de formes qui sans lui n'auraient ni figure ni sens"

Jespersen relie le langage à son aspect créateur, poétique.

Conclusion :

On a affaire à un linguiste, grand spécialiste des langues sur le plan synchronique, de l'histoire des langues et interlinguiste, persuadé qu'on peut créer une langue qui répondra mieux aux besoins de communication des hommes. Répond à un progrès dans l'évolution des langues mène à la notion d'aménagement linguistique : on peut agir sur les langues (conviction profonde de Jespersen)

Le tournant sera pris avec le structuralisme.

"On peut considérer Jespersen comme un pré-structuraliste" (A Martinet)

Avec le mouvement proprement dit, on pensera plus à une adaptation comme outil de communication aux besoins (spécifiques) de la société qui en fait usage.

Influences qui dureront pendant tout le mouvement structuraliste et jusqu'à la linguistique post-saussurienne : étudier le langage dans son comportement actuel.

Cela marque la fin de l'admiration pour les langues anciennes : étudier les langues actuelles est honorable, ce ne sont pas des sous produits.

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