Elève de Joseph Greenberg, il a travaillé sur les universaux du langage à l'université de Stanford et s'est fait connaître par son livre
Comparaison des systèmes phonologique de 400 langues,
ouvrage de référence dans le cadre de l'analyse des langues impulsé par Greenberg.
Sa démarche est proche de celle de Jespersen mais le contexte d'analyse est modifié par l'approfondissement du temps : Jespersen ne remonte pas au delà d'une centaine de milliers d'années (ce qui est déjà un progrès par rapport au XVIIè), mais les hominidés existent depuis des millions d'années.
Dans cet ouvrage Ruhlen s'est appuyé sur les travaux du généticien Luigi Lucas Cavalli-Sforza.
Les écrits sont les seuls documents réels pour l'histoire du langage, mais aucun ne remonte au delà de 5000 avant J.C. (sumérien). Il y a un gouffre entre l'âge de l'écrit et les millions d'années de l'histoire des hominidés. Des echerches orientées en fonction de cette datation s'intéressent aux capacités de langage que pouvaient posséder les différents types d'hominidés.
Lucy, 3 millions d'années.
L'australopithèque
singe (le terme les apparente aux singes, Leroy-Gourhan parle d'australanthropes).
L'homo habilis : (fossiles accompagné d'outils) Tous les deux sont africains.
L'homo érectus
: 1 million d'années : les premiers grands voyageurs, jusque là l'histoire de l'homme est africaine (-100 000 ans).
L'homo néandertalensis
: on considère que c'est le premier homo sapiens (homo sapiens néandertalensis)
disparu il y a 35 000 ans, il a été sans doute contemporain de homo sapiens sapiens.
L'homo sapiens sapiens
(nous mêmes).
On a procédé à une étude des capacités des hominidés à parler en fonction des fossiles découverts
: anatomie (plus évolution des outils), mise en relation avec des aspects culturels, et également à l'étude des capacités
cognitives à partir des outils (Leroy Gourhan). Il s'agit là de procédés indirects entièrement spéculatifs.
Toutes ces études tiennent compte de systèmes utilisée actuellement, gestes compris. Cela mène à une question :
Ces gestes ont-ils accompagnés le langage ou l'ont ils précédé ?
D'autre part vont continuer à se développer un certain nombre de recherches mettant en comparaison capacités humaines et singes (chimpanzé) Une hypothèse ancienne est reprise : à l'origine, il y aurait eu combinaison de gestes et d'appels vocaux.
Après ces rappels, Ruhlen finit son introduction en soulignant le gouffre existant entre le système de communication chez les singes et les langues telles que nous les parlons actuellement.
Le problème reste inchangé : comment passer les étapes entre geste et parole ?
Ruhlen part de deux scénarios non exclusifs (une interaction est possible entre les deux) :
scénarioculturel,
scénario biologique.
Scénario culturel :
On considère le langage humain comme artéfact culturel, développé lui même dans un contexte culturel récent : pas plus de 100 000 ans, appuyé sur des preuves archéologiques qui montrent une complexification
de la culture qui se manifeste de façon plus évidente depuis -50 000 : "l'explosion sapiens". L'étude des outils, des
sépultures, des rites funéraires démontre la mise en place d'une culture. A moins 30 000 ans, l'apparition des peintures
rupestres démontre la possession d'une culture plus complexe, la fonction symbolique est en place, l'homme est prêt pour le langage.
On a découvert des éléments culturels chez les néandertaliens, certains auteurs pensent que les néandertaliens
ont disparus parce qu'ils ne possédaient pas le langage. Il y a là une faille dans le raisonnement : on se sert des preuves de culture pour prouver l'existence du langage, mais les néandertaliens auraient eu une culture mais pas de langage. Est ce le langage qui donne la culture ou les facultés morphologiques ? L'oeuf ou la poule ?
Scénario biologique : Il est davantage intégré dans les conceptions évolutionnistes. Pour ses partisans, le langage
humain est l'aboutissement d'une longue période évolutive.
On aurait donc depuis les autralopithèques toute une évolution jusqu'à nous, mais là encore, on n'a aucune preuve. Les seuls travaux utilisables se trouvent dans la primatologie. On détermine ainsi des aptitudes mais sans savoir comment elles ont été utilisées. A l'heure actuelle avec l'étude des fossiles, on peut avoir une certaine idée de nos ancêtres, de leur cadre de vie (flore, faune de l'époque) mais pas de l'existence d'un langage.
La plupart des chercheurs sont favorables à ce scénario biologique car le langage humain demande des capacités cognitives qui ne peuvent se former du jour au lendemain, ils vont essayer de déterminer l'évolution en fonction des fossiles, des restes archéologiques.
Hypothèse : toutes les langues parlées actuellement auraient évolué à partir d'une seule langue plus ancienne.
A une époque inconnue, la quasi-disparition de notre espèce aurait laissé subsister une très faible population parlant une seule langue. Cette hypothèse semble confirmée par les travaux de la génétique.
Ruhlen dit que de toute façon, pour faire l'hypothèse du monogénisme, il faut partir des langues parlées par l'homo
sapiens-sapiens actuellement. On peut remonter à quelques milliers d'années (écriture), on peut repousser ce délai en
reconstituant les proto-langues à partir des langues actuelles.
Pour prendre un exemple en période historique, nous savons que nous parlons une langue, le Français, issue du latin parlé à Rome y a 2000 ans, et qu'il y a eu différenciation en plusieurs langues romanes : le latin est la langue mère du français, espagnol, catalan et portugais. Ces langues apparentées constituent une famille de langues. Donc, dit Ruhlen, ce qu'il nous faut chercher c'est à procéder aux mêmes regroupements sur des langues non écrites. Ruhlen se démarque de la démarche historique de Jespersen en établissant un classement des langues en préambule. C'est l'outil de travail de Ruhlen
Familles de langues : fondées sur des ressemblances : le classement prend forme d'un arbre généalogique (entre 5 et 6000 langues).
La filiation peut s'établir même si on a pas de preuves écrites. On peut faire un rapprochement entre allemand, anglais, danois, néerlandais, suédois, norvégien. On a pas d'attestation écrite de leur langue commune, mais on postule l'existence d'une langue : le proto-germanique. Puis on compare latin et proto-germanique et on déduit que ces langues dérivent d'une autre langue commune plus ancienne : l'indo européen. Va-t-on s'arréter la ? Certains pensent que oui mais Ruhlen veut aller au delà de l'indo-européen chercher une autre famille plus ancienne incluant l'indo européen.
Ruhlen présente quelques données brutes et montre que tout le monde peut les classer, sa méthode s'appuie sur nos capacités à catégoriser. Ce qu'il faut découvrir ce sont des mots qui soient à la fois semblables par le son et par le sens. Dans ce cas il y a parenté entre ces langues, on trouve ce qu'on appelle des racines, chacune des familles va se trouver caractérisée par des racines différentes, à partir d'une même racine, les langues vont évoluer différemment. Les formes actuelles des racines sont appelées cognats par Ruhlen.
Ruhlen se sépare de ses devanciers : "Ces classifications ne sont possibles que grâce à l'arbitrarité du signe linguistique." Cela va à l'inverse des démarches précédentes qui insistent sur la motivation. Ruhlen néglige les signes motivés
: ces classifications ne sont possibles que parce que la relation son / sens est arbitraire.
Si on trouve des langues avec des ressemblances son / sens il ne peut qu'y avoir parenté entre ces langues. Ces ressemblances ne peuvent être accidentelles. Le fond de cette méthode est l'arbitrarité du signe.
On peut s'attendre à des milliers de combinaisons : la phonologie prévoit les combinaisons possibles et impossibles dans une langue. Ces combinaisons sont mises en relation avec les notions exprimées par ces langues. Si différentes langues emploient la même combinaison pour désigner la même notion, il est peu probable que ceci soit dû au hasard. Il faut expliquer ces formes semblables. On utilise la science générale des classifications : la taxinomie.
La taxinomie comporte un certain nombre de principes généraux que nous allons rappeler :
Trois possibilités peuvent se présenter pour expliquer
des ressemblances :
Par ce processus, des objets originellement différents en arrivent à se ressembler, accidentellement ou sous l'effet d'un facteur extérieur. Par exemple, les chauves-souris : Il y a développement convergent des chauves souris et des oiseaux. Les chauves souris sont des mammifères, le fait de voler les oblige à développer des ailes qui les font ressembler aux oiseaux. Il y a également convergence dans le cas des dauphins et des poissons.
Existe-t-il des équivalents de ce phénomènes dans les langues ? Des ressemblances accidentelles peuvent se produire, dues au symbolisme des sons, à la motivation partielle.
Il n'y a aucune raison pour que le signe, arbitraire, soit influencé par l'environnement. Mais le symbolisme est un phénomène à part : onomatopées, interjections, présence de certaines voyelles (ex dans l'indication de la distance plus ou moins grande par rapport au locuteur dans beaucoup de langues "i" désigne la proximité : "ici" ; "a" désigne une
distance plus grande : "là"). Pour certains auteurs il s'agirait de fossiles linguistiques si bien adaptés à leur
fonction qu'ils ont subsisté malgré l'évolution des langues. Les onomatopées sont différentes suivant l'état de langue : elles suivent l'évolution des langues. Le coq chante différemment en anglais et en français.
Autre fait de convergence : les termes de parenté reviennent avec des sonorités assez proches dans différentes langues.
Depuis qu'elles sont parlées, il y a eu contact, emprunt entre
différentes langues. Ces faits ne peuvent être dus à
une origine commune. Français et Anglais sont des langues connues,
écrites. Elles comportent beaucoup de mots très proches.
On peut essayer de déterminer s'il y a origine commune. Mais attention
l'anglais appartient au rameau germanique, le français aux langues
romanes. L'anglais comporte plus de mots qui ressemblent au français
que d'autres langues germaniques : l'anglais moyen a emprunté au
français ancien (après la conquête des normands en
1066), il faut donc être prudent.
Il faut différencier l'emprunt de l'origine commune et de la
convergence.
On remarque que ce ne sont pas n'importe quels mots du vocabulaire qui
sont empruntés : le nom d'une chose est souvent emprunté
en même temps que la chose elle même, "télévision"
garde une forme très proche dans différentes langues. On
évitera donc ce genre de mots, technique récent.
On compare les vocabulaires de base, comme ceux qui s'appuient sur la
biologie, les besoins fondamentaux, les grandes fonctions, les parties
anatomiques. On ne voit pas pourquoi des langues emprunteraient ce vocabulaire
fondamental.
Si on compare beaucoup de langues et que des mots du vocabulaire fondamental
se ressemblent, l'emprunt n'explique pas ces ressemblances. On ne peut
les expliquer que par le peuplement, les migrations.
Mais les langues ne découpent pas la réalité de
la même façon, c'est la limite du vocabulaire fondamental
: il doit se tenir a distance des techniques empruntables et des faits
culturels qui seraient caractéristiques d'une langue particulière.
(Sapir et Whorf)
On élimine préalablement tout ce qui peut provenir d'emprunts
ou de convergences.
Pour les formes qui demeurent, la ressemblance ne peut s'expliquer que
par une origine commune. On peut aller plus loin et dire que si certaines
ressemblances existent actuellement entre des langues c'est que ces ressemblances
étaient présentes dès le début (hypothèse
du monogénisme), le modèle explicatif est encore le modèle
de Darwin. Il y a eu transmission à partir d'une langue commune
avec modifications. Jespersen voyait davantage l'aspect historique, Ruhlen
part de ressemblances actuelles, pour lui, il est inutile de connaître
la phonétique historique. A partir de ces ressemblances constatées,
Ruhlen fait sa classification des langues. Une précision est nécessaire
sur la classification traditionnelle en linguistique
Ruhlen regroupe les familles utilisées par les précédents linguistes en 12 superfamilles. Cette initiative a déclenché un tollé général à la sortie du livre. Ces regroupements en superfamilles très attaqués par la linguistique
seront défendus par les généticiens et c'est la génétique des populations qui va apporter un argument à la classification
de Ruhlen.
Ces recherches, prometteuses, vont dans deux grandes directions :
Détermination de la région d'origine en utilisant l'ADN mitochondrial qui donne une trace précise de la population féminine, donc des familles (Cavalli Sforza).
Regroupements génétiques des populations pour voir s'il y a une origine ethnique des langues comme on l'a cru pendant longtemps.
(Au XVIIIe et XIXe siècle, on pensait que certaines langues ne pouvaient
être parlées que par certaines ethnies par particularité
physiologique, croyance due à l'ignorance des époques en
question). Lorsque les généticiens se penchent sur la question,
le contexte est différent, les généticiens s'opposent
à ces théories racistes : le concept de race n'existe pas
sur le plan génétique, il est impossible de lier une "race"
à une langue. Génétiquement, il n'y a pas de population
primitive, il n'y a pas de langues plus simples que d'autres, toutes les
langues ont atteint le même stade de complexité.
(Extrait de l'origine des langues)
Analyse de l'histoire du peuplement de la terre (migrations depuis l'Afrique)
ce qui ne résout pas le problème de la difficulté
des langues.
Si la diversité des langues est en relation avec la diversité
des populations, on doit pouvoir retrouver des différences génétiques
(groupes sanguins, rhésus). En Europe il y a une population parlant
une langue impossible à rattacher aux langues indo-européenne
: le Basque.
En faisant une enquête sur les groupes sanguins Ruffié
(années 60) remarque une plus grande fréquence du rhésus
négatif, plus des particularités de certaines protéines.
De là ont été lancées d'autres enquêtes
qui ont mené à des regroupements génétiques
parallèles aux regroupements de certaines familles de langues. Dans
10 cas sur 12, il y a recoupement, on essaye de comprendre pourquoi.
Plus loin, on établit une chronologie : arborescence et on remarque
au niveau des apparentements linguistique la séparation en 2 grands
groupes de proto sapiens
- caractéristiques génétiques propres aux populations
africaines (caractéristiques + anciennes)
- et toutes les autres.
Cette arborescence est proche des familles de langues de Greenberg
Cela semble donner raison au monogénisme.
La théorie du départ d'afrique à -1000000 de sapiens sapiens est retenue mais critiquée : les analyses donnent lieu à des artéfacts.
La diversité linguistique va suivre le peuplement du monde et permettra des regroupements proches de ceux de Greenberg.
Conclusion :
Ces travaux génétiques sont très intéressants mais prudence : les techniques employées sont génératrices
d'artefacts. Egalement dans les relations génétique / langues, ces mises en correspondance concernent des populations importantes, on utilise les méthodes statistiques, or certaines de ces méthodes sont actuellement contestées.
(D'après le cours "Origines du langage" de D.Autesserre)